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Voilà une idée saugrenue : planter des choux verts, des plants de bananes et des épinards sur un toit d’immeuble, au milieu de l’océan de buildings et d’habitats informels qu’est Nairobi. Jane Changawa rigole encore de l’installation de ses plantations sur le toit-terrasse du logement qu’elle loue depuis quinze ans dans le quartier de Kawangware, un vaste bidonville situé à dix kilomètres du cœur de la capitale du Kenya.
Cela lui est venu comme ça, un jour où elle se demandait comment cultiver ce qu’elle et sa famille – un mari et quatre petits-enfants – avaient besoin de manger pour réduire leurs dépenses alimentaires. « Je me suis dit que le toit de mon immeuble ne servait à rien. Il n’y avait qu’un grand réservoir d’eau qui ne marchait pas et des bidons abandonnés », raconte cette femme de 57 ans guère plus grande que ses plantes.
Jane Changawa avait bien fait quelques essais auparavant dans la cour de son bâtiment, mais l’espace était restreint, encombré de linge et d’enfants en mal de jeux. « Heureusement, mon propriétaire est un homme bon. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de soucis pour que je m’installe sur le toit avec mes plantes. » De quoi mettre en pratique sa formation à l’agriculture dispensée par l’Association of women in agriculture Kenya (Awak) quelque temps auparavant.
Jane Changawa passe entre les différentes plantations de sa chamba, sa ferme en langue swahilie. Dans un pneu rempli de terre poussent des épinards. Dans un ancien réservoir d’eau coupé dans la longueur, elle a piqué des choux. Des pieds de bananiers ont été installés dans d’anciens bidons. Sa grande fierté est ce qu’elle nomme ses « cônes », sorte de mini-tours de Babel en plastique, d’un mètre de diamètre, dont chaque étage est garni de choux verts, d’épinards et d’oignons.
L’expérience de Jane reste marginale à l’échelle du pays. La culture sur toit est peu développée. L’association Awak revendique toutefois plus de 3 000 personnes initiées à l’agriculture urbaine dans les bidonvilles de Nairobi et presque autant à Mombasa, la deuxième ville du pays. « L’agriculture urbaine est une source alternative importante de légumes frais dans une ville comme Nairobi. La capitale compte plus de 5,5 millions d’habitants et son approvisionnement dépend entièrement des comtés ruraux. L’approvisionnement en nourriture y est en tension », explique Julius Mundia, l’un des responsables de l’Awak.
Bien que les quartiers d’habitats informels comme celui de Kawangware ne représentent que 6 % du territoire de Nairobi, ils concentrent 60 % des habitants de la capitale. Soit plus de 2,5 millions de personnes. La densité de population y bat des records et tout y devient, de fait, plus compliqué : l’accès à l’eau, à l’électricité, aux médicaments et… à la nourriture. D’où l’idée d’autosuffisance alimentaire.
« Dans les quartiers informels, l’agriculture urbaine est une priorité. De nombreux foyers vivent avec moins d’un dollar par jour », explique Julius Mundia. Une étude canadienne menée à Kibera, autre bidonville de la capitale, dans les années 1990 démontrait déjà que l’agriculture urbaine était un bon moyen pour aider les familles modestes.
Emergeant des escaliers qui mènent au toit-terrasse, un homme se présente. La cinquantaine, un trait de moustache sur la lèvre et une chemise aux couleurs affadies. En échange de 20 shillings kényans (15 centimes d’euro), le voilà reparti avec une quinzaine de feuilles de chou. « Mes légumes sont tous biologiques, dit Jane. Il n’y a aucun pesticide. » Elle indique un bidon jaune posé sur le sol au milieu de jerricans d’eau. « Dans celui-ci, il y a un litre d’urine de lapin. » En 2021, un rapport sur l’usage des pesticides au Kenya avait mis en lumière des taux anormalement élevés dans les produits comestibles du pays, un tiers de leurs composants étant interdit en Europe.
Sur le toit-terrasse, Jane commence à verser de l’eau dans une sorte de grande jardinière. Elle soupire pour la première fois. L’eau est son principal souci. Elle en manque. Tous les jours, tout le temps. « Il faut la faire monter bidon par bidon et payer le porteur à chaque fois. » Elle aimerait investir dans un réservoir qui serait installé sur le toit. Mais il lui faudrait une pompe. Dans son appartement et dans toutes les autres habitations du bâtiment, il n’y a pas d’eau. Pour ne pas dépenser trop en frais de porteur, elle n’arrose donc qu’un jour sur deux.
La commerçante compte une dizaine de clients quotidiens. Elle vend aussi sa petite production à trois commerçantes qui ont leurs étals dans la rue. Ce matin-là, avec les quatre clients qui lui ont rendu visite, elle a empoché 120 shillings. « Je gagne en moyenne entre 150 et 200 shillings [soit entre 1 et 1,40 euro] par jour », dit-elle. Tout au loin, dans l’océan de ferraille que sont les toits de Kawangware, elle indique d’infimes taches de verdure. « Ce sont d’autres femmes qui se sont mises à la culture sur toit. C’est moi qui les ai formées. » A Nairobi, le phénomène de l’agriculture sur les toits est marginal, mais il pourrait bien essaimer.
Arthur Frayer-Laleix (Nairobi, correspondance)
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